Il y a quelques années, le terrain vague qui s’étendait de la rue Ledru-Rollin à la rue Esquirol, et qui « léchait » une bonne partie de la voie ferrée, avait à mes yeux d’enfant l’apparence d’un immense et mystérieux no-man’s-land où tout pouvait arriver. Du haut des bâtiments de la cité Thorez – les fameux « briques rouges » comme on les surnommait –, on pouvait y voir tour à tour des caravanes, des chapiteaux, des animaux de cirque, des brocanteurs, des équipes de tournage de cinéma (Renaud et Jean-Marc Barr notamment y ont tourné). Je garde même le souvenir d’avoir joué durant des heures dans une « navette spatiale » d’un manège de forain laissé à l’abandon.
À l’époque, j’ignorais que ce site avait un nom, les Cormailles, qu’il tirait vraisemblablement du seigneur des lieux au Moyen-Âge, Godefroi de Cormellis. Mon imagination n’en aurait été que plus féconde. Je ne connaissais pas son histoire. Je ne savais pas que, jusqu’au XVIIIe siècle, à la place de ce terrain vague magique à mes yeux il y avait eu des prairies, des champs de blé, des maisons bourgeoises et des jardins à la française. Les Miriamones, religieuses venues de Paris, y avait élevé la duchesse douairière d’Orléans, mère du roi Louis-Philippe. En 1789, les paysans des Cormailles devinrent les protagonistes de la Révolution française à Ivry et remplirent le cahier des doléances avec Antoine Jean-Baptiste Renoult, de la ferme voisine des Millepas.
Et puis, j’étais trop jeune pour savoir qu’un pionnier de la médecine, le docteur Jean-Étienne Esquirol, un des fondateurs de la psychiatrie moderne, y avait établi une « Maison de santé » dans laquelle avaient séjourné quelques célébrités telles que Sadi Carnot, précurseur de la thermodynamique, et Antonin Arnaud, écrivain. Je pensais que ce terrain avait toujours été ainsi, friche industrielle où le béton était peu à peu grignoté par la nature sauvage, avec cette formidable dune de terre que je rêvais, comme bien d’autres gamins du quartier, de descendre à ski ou en luge, et qu’il en serait toujours ainsi.
Mais comme les hommes, les lieux évoluent. À leur rythme. J’avais à peine un an quand le projet de parc départemental avait été initié. Il en aura fallu trente pour qu’il se concrétise. Et c’est en quittant le centre-ville pour m’installer de l’autre côté de la voie ferrée que j’ai vu peu à peu se dessiner un nouveau Cormaille. Différents projets étaient en concurrence, rivalisant d’originalité : l’un d’eux inondait même la butte et la transformait en élégantes « rizières ».
Lauréats du concours de concepteurs, les paysagistes de l’agence TER se sont efforcés de préserver les impressions d’étendue et la perception des horizons. Ils ont ouvert l’espace sur les quartiers limitrophes. Ils ont aussi conservé la butte, appelé colline des Lilas, et y ont implanté à la base une ère de jeu sur l’un des flancs, un solarium à mi-hauteur et un belvédère avec un panorama à 360° en son sommet, qui culmine à 15 m. Ils ont fait coexister plusieurs « îlots » au sein d’une immense « plage verte » : le jardin des sables, avec ses allures de jardin zen, le jardin des vignes, avec ses pieds alignés faisant face aux « potagers » des écoles, et la roseraie, encerclant une ère de jeu. Un canal traverse le parc, parallèlement à la voie ferrée, bordé par quelques mats brumisateurs bienvenus en temps de canicule.
La société Valentin a débuté les travaux début 2002. La livraison s’est faite par tranches. La deuxième tranche, la dernière concernant les « gros travaux », a pris fin en septembre 2005. Dès lors, le public a pu enfin profiter des quelque 7 hectares du parc. Il y en a pour tout le monde, selon qu’on cherche à s’y reposer, s’y ressourcer, s’y dépenser, s’y isoler… Les plus sportifs peuvent profiter de l’ère de glisse et des prêts de matériel pour pratiquer du football, du badminton, du volley-ball… Les plus artistes peuvent laisser libre cours à leur inspiration sur le mur de grafs. Les Ivryens ont enfin le parc qu’ils avaient tant désiré.
Nicolas
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